Jacques Vigne : La marche consciente
La marche consciente
par Jacques Vigne (Version complétée et relue, juin 2014)
La marche méditative fait partie de mes activités régulières, en particulier dans l’ermitage de l’Himalaya où je suis souvent, en Inde au-dessus d’Almora, près de la frontière du Népal et du Tibet. J’ai également écrit sur le sujet, avec un autre ermite ami, Michel Jourdan, dans deux livres parus en édition de poche, Marcher; méditer, et Cheminer, contempler1. Le premier ouvrage en particulier a touché le public, puisqu’il a été distribué à plus de 40 000 exemplaires. J’ai écrit la première version de ce texte au Sri Lanka dans un centre de retraite vipassana où j’ai accompagné un groupe de Français, et je me suis remis à pratiquer la marche lente consciente selon la tradition du bouddhisme théravada. Cela m’a donné l’idée de revenir dans cet article sur ce sujet, qui est important dans toutes les branches de la tradition bouddhiste, mais en particulier dans le bouddhisme du Sud. Je me suis inspiré pour les réflexions ci-dessous d’un petit livre important publié par la Buddhist Publication Society au Shri Lanka en 2007 Walking Meditation2, qui est une brève anthologie d’articles sur le sujet, ainsi que du petit livre en anglais de Thich Nhat Hanh, La longue route devient joie – Un guide pour la marche méditative3. Ajoutons d’emblée que la marche consciente représente une bonne pratique de spiritualité laïque. Nous savons tous marcher et avons une conscience, l’idée donc de combiner ces deux capacités n’est pas religieuse en soi et ne requiert pas de croyances dogmatiques. Bien qu’elle ait été développée très systématiquement par le bouddhisme, on peut se souvenir que dans les cloîtres chrétiens, la marche méditative est aussi effectuée. Il s’agit d’une pratique qui fait partie du patrimoine spirituel mondial de l’humanité. Cette spiritualité laïque est en développement de nos jours. Elle est importante pour l’avenir de l’humanité, qui ne sera certainement pas l’exacte réplique du passé, comme le voudraient les traditionnalistes et conservateurs religieux.
Il est bon de comprendre d’emblée que la marche consciente n’est pas un parent pauvre de la méditation assise, juste un bref intermède pour se dérouiller les jambes, c’est une méditation à part entière, sauf qu’elle est dans une position corporelle différente de l’assise. On raconte dans les soûtras que le Bouddha, le matin en se réveillant, commençait par effectuer la marche consciente, et seulement après faisait sa méditation assise. De plus, en dehors des quatre mois de retraite de la saisons des pluies (en pali vassa vasa), il se déplaçait régulièrement à pied dans la plaine du Gange, pendant donc huit mois. Pratiquer la marche consciente, non seulement lente, mais aussi à vitesse normale dans les déplacements courants, était donc naturellement une technique importante pour ces moines errants.
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La méditation assise, immobile, correspond à visualiser un chemin, et la marche méditative revient à l’emprunter effectivement. Dans une autre image, la méditation immobile correspond à construire un moteur, et la marche méditative revient à y introduire le carburant et à le faire fonctionner pour de bon.
Textes et pratiques de base
Commençons par quelques citations sur la marche du Bouddha lui-même et d’un de ses disciples directs:
Ô moines, il y a cinq bénéfices dans la marche méditative. Quels sont ces cinq ? On est plus endurant pour de longs voyages (à pied). On est plus endurant aussi pour l’effort (de la méditation). On a peu de maux physiques. On digère bien ce qui est mangé, bu mastiqué et goûté. La concentration qu’on atteint par la marche méditative dure longtemps. (Anguttara Nikâya 5:29).
En percevant ce qui est devant et derrière, tu dois fixer l’attention sur la marche méditative, avec les facultés des sens tournées à l’intérieur, et l’esprit qui ne s’échappe pas (Anguttara Nikâya 7:58)
Et voici maintenant le témoignage d’un disciple direct du Bouddha :
J’ai quitté ma demeure écrasé de fatigue. En me rendant à la piste pour la marche méditative, je suis tombé. Je me suis frotté les membres, et finalement je suis arrivé sur la piste, j’ai effectué la marche méditative et je me suis bien rééquilibré l’esprit. L’attention pleine de sagesse s’est élevée en moi, le danger de l’existence est devenu clair, le détachement s’est établi, et mon esprit obtint la Libération. (Theragâthâ 271-273)
On appelle en pali la méditaiton marchée chankama.
« Dans la tradition des moines de la forêt du nord-est de la Thaïlande, on insiste particulièrement sur cette pratique. Beaucoup de moines marcheront pendant de longues heures comme un moyen de développer leur concentration, parfois jusqu’à 10 ou 15 heures par jour ! Ajahn Singtong a utilisé tellement sa piste de marche méditative qu’il y avait creusé un sillon. Ajahn Kum Dtun ne se souciait pas de rentrer dans sa cabane la nuit. Quand il sentait réellement la fatigue après avoir marché en méditation toute la journée et jusque tard dans la nuit, il s’allongeait à l’endroit même sur le sable de la piste de méditation et utilisait son poing comme oreiller. Il s’endormait avec vigilance, en ayant pris la résolution de se lever au moment même où il se réveillerait. Aussitôt sorti du sommeil, il recommençait à marcher. Au fond, il vivait sur sa piste de méditation ! Rapidement, il a atteint d’excellents résultats dans sa pratique. »4
Nous pouvons maintenant reprendre les cinq bénéfices de la méditation tels que les a décrits le Bouddha dans ses instructions citées ci-dessus :
1) Développer l’endurance pour marcher pendant de longues distances : à l’époque du Bouddha, la plupart des gens voyageaient à pied, ils en avaient l’habitude, mais expérimentaient malgré tout des problèmes physiques et la fatigue générale causée par les longues marches. Une pratique qui pouvait les aider dans tous ces
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déplacements était donc la bienvenue. Il en va de même pour les moines de la forêt thaïlandaise qui se déplacent à pied sur de grandes distances régulièrement. Quand ils savent qu’ils vont faire un long voyage à pied, ils augmentent leur durée de marche méditative dans leur ermitage pour s’entraîner et pratiquent au moins cinq ou six heures par jour dans ce sens.
2) La marche méditative est bonne pour l’effort de méditation : elle permet de lutter contre la somnolence. Une méthode que recommande Ajahn Chah quand on est très endormi, c’est de marcher à reculons, on ne peut pas somnoler en le faisant… Dans un monastère d’Australie, il y avait un laïc qui avait l’habitude de faire sa marche sur le faîte d’un mur d’un mètre cinquante ou de deux mètres de haut pour rester bien concentré !
3) La marche méditative est bonne pour la santé : le Bouddha explique que la marche méditative mène à la bonne santé c’est son troisième avantage. Il faut évidemment distinguer du point de vue physiologique la marche lente et la marche rapide. Cette dernière a tous les intérêts physiologiques de l’effort soutenu, réduction des graisses, prévention de l’augmentation de l’insuline et du diabète, accroissement de la masse musculaire. Par contre, il faut reconnaître que du point de vue purement physiologique, la marche lente n’est guère différente de la sédentarité. Cependant, du point de vue énergétique, elle permet le déblocage de nombreux noeuds qui ne sont pas si facilement accessibles à la relaxation dans la méditation assise. Elle assure une fluidification du corps subtil, ce qui est un but important de la méditation en général. Nous y reviendrons à propos des premières paroles du Bouddha après sa Réalisation.
4) La marche méditative est bonne pour la digestion : elle permet de dissiper la somnolence post-prandiale. Cela est particulièrement intéressant pour les moines qui ne mangent que deux, voire qu’un repas par jour, souvent à base de riz blanc. Ils ont de ce fait une forte réaction hypoglycémique qui les endort après le repas, d’autant plus qu’ils se sont levés très tôt après une nuit en général courte.
5) L’effet de la marche méditative dure longtemps : cela est probablement dû à la libération d’endorphines, nous y reviendrons. Parce que la marche consciente s’inscrit dans un mouvement déjà naturel, son action pénètre plus facilement dans l’inconscient corporel profond. De plus, nos actions quotidiennes sont souvent reliée à la marche. Si nous souhaitons faire rentrer la méditation dans notre vie, la marche consciente est un bon canal de communication entre les expériences de méditation assise et ce quotidien.
Pour clarifier les choses, nous pouvons distinguer la marche effectuée en retraite, qui sera plus inspirée par la claire vision intérieure, vipassanâ, et la marche accomplie durant la vie quotidienne, qui sera davantage un moyen d’apaisement du mental, samatha. De manière générale, dans la marche consciente, l’attention est dirigée vers les pieds plus que sur le souffle, mais les deux peuvent bien sûr être associés.
On peut retrouver dans la relation du pratiquant à la marche consciente la double polarité de l’attachement et l’aversion : on peut devenir attaché à cette pratique comme à une forme de « vacances » faciles, où on ne se sent plus obligé de méditer strictement comme on le faisait assis. On peut aussi développer de l’aversion envers cette méthode, en y voyant une perte de temps, qui casse le rythme de la « vraie » méditation qui, dans une vision limitée, ne pourrait être
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effectuée qu’assise. En fait, nous l’avons déjà dit, il s’agit de la continuité de la même pratique dans une posture différente.
Comme le développe Ajahn Brahmavamso :
Même le son des oiseaux disparaît quand l’attention est pleinement focalisée sur l’expérience de la marche. Notre attention est facilement établie, contente, et soutenue sur une chose. Vous trouverez que c’est une expérience au fond très agréable. Au fur et à mesure que votre attention s’accroît, vous reconnaîtrez de plus en plus les sensations de la marche. Vous trouverez que celle-ci a son propre sens de beauté et de paix. Chaque pas devient un « beau pas ». Et très facilement, votre attention est absorbée et vous devenez fascinés par le simple fait de marcher. Vous pouvez recevoir un grand samâdhi, une grande absorption, à travers la marche méditative pratiquée de cette façon… Beaucoup de gens qui effectuent cette méditation pour la première fois disent : « Je suis stupéfait de voir comme c’est beau ! » 5
Ceci provient en particulier du fait que la marche méditative amène de façon assez rapide à une paix approfondie. Dans ce sens, comme le disait le Bouddha lui-même : « La paix est la félicité la plus haute ».
Pour augmenter cette paix, on peut réciter un mantra. Dans la tradition des moines de la forêt de la Thaïlande, c’est «bouddho, bouddho» qui est souvent utilisé. Mais il y a beaucoup d’autres possibilités, Thich Nhat Hanh en donne dans son petit livre inspirant sur la marche méditative, cela peut simplement être en posant un pied au sol dire « l’ici… » et en posant l’autre dire « revient au maintenant ». Il peut y avoir une certaine créativité dans l’utilisation des paroles qu’on associe à la marche, l’idée générale est qu’ils seront inscrits plus profondément dans notre mémoire car associés à un rythme corporel déjà profondément ancré dans notre inconscient. On peut aussi en marchant méditer directement sur les quatre brahma- vihâra, les quatre demeures sublimes : la bienveillance, mettâ, la compassion, karunâ, la joie altruiste, muditâ, et l’équanimité, upekkhâ. Mettâ signifie souhaiter que l’autre soit heureux, karunâ signifie souhaiter qu’il parvienne à sortir de sa souffrance, muditâ, c’est d’être joyeux de leur joie, et upekkhâ, Upekshâ en sanskrit, signifie littéralement «voir (les choses) vers le bas », c’est à dire que nous sommes au-dessus , et nous observons de haut la scène tragicomique des jeux de notre ego. Les conseils de base du Bouddha pour cette méditation sont les suivants :
Ici, ô moines, le moine a un esprit plein de bienveillance qui se répand d’abord dans une direction, ensuit dans une seconde, ensuit dans une troisième, ensuite dans la quatrième, et de même vers le dessus, dessous et tout autour, et partout en s’identifiant lui-même avec tout, il pénètre le monde entier avec un esprit plein de bienveillance, un esprit large, développé, sans limites, libre de haine et de mauvaise volonté.6
Ensuite il y a les mêmes descriptions avec la compassion, la joie altruiste et l’équanimité. Nous y reviendrons.
La marche méditative amène assez aisément à l’expérience de continuité complète, mais il faut élargir cette continuité à la méditation assise avant et après, et à la marche durant la « post-méditation ». Ajahn Nannadhammo explique en conclusion d’un bel article sur la marche méditative :
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Dans la tradition de la forêt thaïlandaise, à chaque fois qu’un enseignant de méditation arrive à un monastère, un des premiers lieux auquel il se rend, ce sont les pistes de méditation des moines pour voir combien de traces de pas y sont visibles. Si les pistes de méditation sont bien utilisées, on considère que c’est le signe d’un bon monastère. Puissent vos pistes de marche méditative être bien utilisées.»7
Du point de vue pratique, les pistes de méditation font, en général, environ 30 pas de long, ou sont parfois plus courtes avec simplement quinze pas. Quand on inverse le sens de la marche, il faut bien contrôler le souffle et la conscience pour que l’esprit ne s’échappe pas et que la continuité ne soit pas interrompue. Le sol est souvent de sable, ce qui est agréable quand on marche pieds nus. Les promeneurs qui ont suivi la mer le long des plages le savent bien. Dans beaucoup de monastères ou de centres de méditation théravâda, chacun décide quand il a besoin de faire la marche méditative et pour combien de temps. La marche est en général lente, mais on peut appliquer la pleine conscience dans la marche à rythme normal, voir rapide. Comme le conseille un autre enseignant: «Apprendre à regarder profondément dans l’expérience et ses caractéristiques n’est pas limité à la méditation assise. Marchez, et regardez « comment ça marche » à l’intérieur. Faites des allers et retours méditatifs d’un pas naturel. Apprenez à faire attention, alors il n’y a rien que vous ne comprendrez. C’est le cœur de la pratique. »
Ceux qui ont une bonne expérience de la marche méditative insistent sur son aspect de fluidité parfaite. C’est de cette façon qu’on pourrait traduire un des sept facteurs d’éveil, passaddhî, qu’on traduit d’habitude par relaxation. En fait, son origine sanskrite est pra-srab-dhî, dhî, le courant de sensation qui srab, s’écoule, pra, vers l’avant, d’où la notion de fluidité. Dans ce sens, si on étiquette les phases du pas par un mot, on conseille de ne pas trop les détailler. Trois ou quatre mots pour décrire un cycle complet sont suffisants. Cela favorise une absorption fluide et continue, on est tellement absorbé dans l’engrenage du pas qu’on en arrive au silence du mental. On pourrait ainsi distinguer deux pôles fondamentaux de fluidité dans la méditation bouddhiste de base, celui d’ânâpânasati, la continuité fluide de la respiration qui diffuse progressivement aux sensations, aux émotions, au contenu du mental, pour arriver à la fluidité du nirvâna. La seconde fluidité est celle de la marche, qui a tendance aussi à diffuser naturellement aux autres étages du psychisme pour aboutir non seulement au nirvâna, mais aussi au lâcher prise par rapport à celui-ci. Ceci représente le 16e et dernier échelon de l’évolution dans, l’ânâpânasati soûtra par exemple, le soûtra de la pleine conscience et de la respiration8
Marcher consciemment nous ramène à l’état primordial du bébé Bouddha qui a posé le pied sur terre : lors de ses sept premiers pas, à chaque fois des lotus sont sortis sous ses pieds. Nous reviendrons en détail au symbolisme de cet épisode, si important qu’il est régulièrement représenté sur l’un des quatre côtés des stoupa-s, devenant le symbole de la naissance du Bouddha, les autres côtés étant occupés par la réalisation de Bodhgaya, la première prédication de Sarnath et la mort à Kushinagar. La sensation de départ de poser le pied délicatement sur des lotus qui s’ouvrent nous oriente déjà vers la légèreté et la subtilité de l’expérience de la marche en pleine conscience.
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Interprétations neurophysiologiques de la marche consciente.
Soulignons d’ores et déjà le fait que la plante du pied a une grande représentation cérébrale au niveau du cortex sensitif. Elle a ceci de commun avec les mains, la bouche, le ventre et la zone génitale. Ainsi, nous comprenons mieux pourquoi se concentrer dessus amène facilement à une absorption profonde. Du point de vue biochimique, cette failitation de la focalisation est très probablement liée aux endorphines, qui elles-mêmes se transforment en sérotonine et stimulent les centres du plaisir, par exemple le nucleus accumbens qui est à l’arrière des lobes pariétaux. On a découvert les endorphines par le phénomène du second souffle en jogging. Le coureur se sent de plus en plus fatigué, mais tout d’un coup, un état de grâce arrive, non pas des forces divines, mais des endorphines, et il ou elle a l’impression de pouvoir continuer à avancer indéfiniment. On rattache cette libération des endorphines à l’effort en général, en particulier à l’hypoxie entraînée par la consommation intense d’oxygène par les muscles et qui met le cerveau en alerte, d’où la libération d’endorphines. Cependant, il n’est pas interdit de faire rentrer dans la liste des facteurs causaux de leur production une stimulation intense de la plante du pied. À ce moment-là, même la marche lente irait dans ce sens. De plus, dans celle-ci comme dans la méditation assise, le souffle a tendance à beaucoup s’apaiser, ce qui induit une hypocapnie, une baisse du gaz carbonique dans le sang. Cela a le même effet de réveil du cerveau et de production d’endorphines que la course prolongée. C’est comme si les extrêmes se touchaient, la marche lente et la course de fond. Par ailleurs, le contact du pied avec le sol est comme une caresse, ce qui est directement lié à la production d’ocytocines, qui correspondent au bonheur relationnel.
Pour ce qui est des genoux, l’étirement de l’arrière de ceux-ci pendant le déroulé du pas favorise une extension des tendons, et donc, par l’intermédiaire des fibres nerveuses bêtas, une stimulation de la substance réticulée activatrice qui se trouve dans le bulbe rachidien. Celle-ci est une sorte de thermostat de l’éveil pour tout le cerveau. Ainsi, ce ne sont pas simplement les jambes qui s’étirent et « se dérouillent », mais c’est tout le cerveau qui sort de sa torpeur.
Les personnes d’âge mûr qui font régulièrement de la marche en terrain inégal, comme par exemple sur des sentiers de forêt accidentés, retardent notablement d’après les statistiques la survenue d’une éventuelle démence. La coordination motrice nécessaire pour ce type de marche fait fonctionner intensément le cerveau, et continue donc à le conserver en bon état…de marche !
Les enseignants de marche méditative considèrent en général qu’aller avec les mains dans le dos relève plus de la promenade habituelle, en méditation consciente, on garde soit les bras ballants le long du corps, soit réunis par devant. Dans le théravâda, on met souvent la main droite sur la main gauche, celle-ci étant au niveau du hara. Dans la marche méditative zen, la main droite entoure le poing gauche fermé, avec le pouce en face de la région du plexus. L’idée est celle de la réunion de la gauche et la droite, en yoga on dirait du courant masculin et féminin pour constituer le mariage intérieur, une union pleinement consciente. Dans ce sens, la réunion des mains à l’avant est plus logique que celle à l’arrière, cette dernière directionétant reliée à l’inconscient.
Un demi sourire fait partie intégrante de la marche consciente. Comme le dit Thich Nhat Hanh avec sa simplicité habituelle : « J’inspire, je sens le calme,
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j’expire, je souris. » Le sourire est une de ces choses vraiment importantes qu’on oublie souvent. Le remède? S’entraîner!
Il existe une différence entre la marche lente, qui n’est guère différente du point de vue de la physiologie habituelle de la sédentarité, et la marche rapide, en particulier celle où on monte les escaliers, qui produit un effort intense et présente les mêmes bénéfices physiologiques que le sport. On a remarqué par exemple que monter trois étages par jour, ce qui ne paraît pas grand-chose comme effort, diminue déjà de 30 % les risques d’infarctus. Le mécanisme est le suivant : en marchant rapidement ou en faisant un effort intense même pendant quelques minutes, on augmente l’index métabolique pendant quelques heures, c’est-à-dire qu’on brûle les graisses stockées pendant toute cette durée de temps. Les quelques minutes d’effort intense suffisent à mettre en alerte l’organisme, il croit qu’il va avoir soit à combattre, soit à fuir comme c’était le cas dans le stress de base durant l’évolution de l’espèce humaine, et cette alerte dure quelque heures. Quand on développe son expérience de la marche lente, il devient de plus en plus possible de faire passer une conscience analogue dans la marche rapide. Il est utile aussi de savoir marcher normalement, mais avec une conscience pleine, quand on veut pratiquer dans les lieux publics, pour rester discret et ne pas attirer l’attention des gens par un rythme bizarrement ralenti et une position étrange des mains…
Le Shri Pada et le pied dans la tradition indienne
Le Shri Pada, aussi appelé par les chrétiens et les musulmans le pic d’Adam,
représente le sommet sacré de Ceylan, même s’il n’en est pas le sommet géographique. Il est l’objet d’un pèlerinage fort ancien qui attire les foules. La tradition est de monter de nuit, pour méditer au sommet sur le lever de soleil. Le terme même Shri Pada veut dire « le pied vénérable, splendide, lumineux ». En sanscrit, padam signifie non seulement le pied, mais aussi le niveau. Ainsi, vénérer le pied du gourou, c’est aussi vénérer son niveau, pour pouvoir l’atteindre par sa propre pratique en utilisant l’identification dévotionnelle. La réalisation est appelée param-padam, littéralement le niveau suprême. Dans l’ancienne tradition bouddhiste ainsi que vishnouïste, le pied et la roue était les seuls symboles évoquant le Bouddha et Vishnu. La roue est un signe solaire, qu’elle soit du dharma dans le cas du Bouddha ou correspondant au chakra, une arme en forme de disque solaire dans celui de Vishnu. Quant au pied, on a d’abord seulement révéré sa trace dans les rochers, puis il a été représenté de façon plus variée. Ainsi, marcher comme le faisait Bouddha, c’est mettre ses pieds dans ses traces, et s’élever progressivement à son niveau. Dans les temples birmans ou thaïs, on trouve des pieds de Bouddhas de plusieurs mettre carrés couverts de signes de bonne augure caractéristiques du Tathâgata.
Le pied dans la tradition indienne est quasi automatiquement associé au lotus, ceci est basé sur un jeu de mots, padma signifiant lotus et padam le pied. Ressentir pleinement cette image du lotus qui s’ouvre est important, car cela permet de toucher du doigt l’union de la félicité de la vacuité : le bonheur intérieur vient de la montée de la force vitale à partir du bassin, mais il a le risque de mener à l’attachement, voire à l’addiction. Pour éviter cela, ont le « met sous vide ». Je donne cette image par comparaison avec le fait de conserver une nourriture sous vide pour qu’elle ne s’abîme pas. Ceci est évoqué par l’épanouissement du lotus,
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qui se met à occuper tout l’espace : à ce moment-là, on a une infinité d’alternances entre les pétales qui représentent la félicité et les interstices les séparant, qui représentent la vacuité. On pourra ainsi ressentir la joie, mais sans son côté addictif qui entraînerait automatiquement l’anxiété.
Dans un poème de la bhakti (dévotion) de l’Inde, un disciple dit en s’adressant à son gourou : « Puissè-je devenir la poussière argentée qui touche ton pied ». Il y a évidemment dans cette image exagérée le sentiment d’humilité complète, mais aussi une allusion à une forme de rajayoga (« argenté » se dit rajat) où l’on guide l’énergie vitale du pied vers les centres supérieurs, et l’on devient donc le gourou de ses propres courants de sensations.
La seconde ville sacrée de l’Inde après Bénarès est Hardwar, à l’endroit où le Gange sort de l’Himalaya. Là-bas, le centre sacré du pèlerinage, et en particulier de la Kumbhaméla qui s’y tient tous les douze ans, s’appelle Har-ki-péri, littéralement « le pied de Shiva », l’endroit où l’on voit, dit la tradition, la trace de son pied. En fait, c’est tout le monde manifesté qui est l’empreinte du pied de Dieu, son corps « au-dessus » restant invisible.
Quand on appuie la plante du pied dans le sol, on offre quelque chose à la terre, et elle nous le rend sous forme d’un bonheur qui monte à travers tout le corps. Si on sait laisser s’épanouir cette joie dans les niveaux ascendants où elle passe, elle nous traverse sans attachement, et se spiritualise d’autant. Thich Nhat Hanh explique à ce propos : « Soyez conscients du contact entre vos pieds et la terre. Marchez comme si vous donniez un baiser à la Terre avec vos pieds. Nous avons causé beaucoup de dégâts à la terre; maintenant, il est temps de prendre bien soin d’elle ».9
En Inde, on recommande de se représenter la divinité d’élection, le bodhisattva ou le gourou qu’on vénère au-dessus de la tête, assis avec son pied juste au Brahma-randhra, dans la région du vertex. Cela est aussi une manière d’unir la félicité de la plante du pied à la vacuité de l’espace au-dessus du corps. Cette visualisation permet aussi de refermer en temps ordinaire ce Brahma-randhra, cet orifice du Brahma qui normalement ne doit s’ouvrir qu’au moment de la mort. Si on le fait avant, cela peut entraîner des déperditions graves d’énergie, voire un état psychotique. À l’inverse, la présence du pied sacré au-dessus de la tête permet de faire entrer une énergie positive dans le corps, qui aide à dénouer ce qui est noué, et à remplir les zones en vide d’énergie. Il s’agit donc d’une force éminemment thérapeutique. Pour nous résumer, le centre du sommet de la tête a une fonction de clapet, qui laisse descendre l’énergie mais ne l’autorise pas à remonter.
La marche permet une réunification en profondeur : « Dans la marche, je coordonne ma respiration et mon pas pour que je sois vraiment là et que je puisse toucher la vie avec mon corps et mon esprit. En utilisant mon corps et ma respiration, je ramène mon esprit vers mon corps, et quand mon corps et mon esprit se joignent, je suis vraiment là dans l’ici et maintenant. »10
Les Indiens Dakota relient la santé mentale à une bonne communication entre le ciel et la terre. La conscience représente le pôle ciel, la plante du pied le pôle terre. Quand le premièr va dans le seconde, l’être humain assume sa vocation de trait d’union entre le haut et le bas, et on installe une bonne fondation pour la santé mentale.
La marche avec le détachement qu’elle entraîne à chaque pas peut évoquer la mort de l’ego. Dans la tradition jaïn, quand un sujet sent qu’il est trop vieux et trop malade, qu’il n’y a pas d’espoir de guérison, on tolère qu’il décide de partir sur la
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route et de marcher jusqu’à ce que mort s’en suive. Cela n’est pas considéré comme un suicide. La marche consciente pratiquée intensément a ainsi également le pouvoir de mener à la mort de l’ego. Nous avons cité l’exemple de cet Ajahn, qui vivait sur sa piste de marche méditative; quand il n’en pouvait plus, il se couchait et dormait, et dès qu’il se réveillait il recommençait à marcher. Nous avons déjà mentionné que ceux qui le connaissaient et rapportent ces faits nous expliquent qu’il a rapidement atteint le dépassement de l’ego.
Mâ Anandamayî, une sage en marche
Mâ Anandamayî aimait marcher. Elle se décrivait comme un « oiseau sur la branche », elle se déplaçait beaucoup. Certes, pour les longues distances, cela était par train, puis aussi en voiture quand celles-ci se sont répandues en Inde comme moyen de transport des civils, mais pour les distances plus courtes, elle allait beaucoup à pied comme les gens simples de son époque. Elle s’est aussi rendue au Kailash en marchant aller-retour à partir d’Almora, cela a représenté trois mois de pérégrinations dans des terrains difficiles, avec le passage du col de Dolma à 5600 m d’altitude. Un ancien proche de Mâ, Rajat Narain, auquel j’ai fait lire la première version de mon texte sur la marche consciente, m’a bien souligné cela : la marche silencieuse était importante dans la pratique de Mâ. Bhaiji était le grand disciple de Mâ, celui qui lui a donné son nom d’Anandamayî. Il raconte dans son témoignage Matri darshan :
Nous étions fin décembre ou mi-janvier, au cœur de l’hiver, et le froid était rigoureux. A l’aube, je marchais pieds nus, avec Shri Mâ, sur les champs de Ramna (un grand espace vert maintenant au centre de Dhaka au Bangladesh) couverts d’herbe trempée par la rosée. Au bout de trois heures, nous sommes revenus à l’ashram…
Depuis fin 1929, pendant trois ans, j’allais à Ramna aux premières lueurs de l’aube. Je pénétrais dans l’ashram à cinq heures, et je marchais dans les champs avec Shrî Mâ : je revenais à la maison à dix heures et demi ou onze heures, certaines fois à midi ou même une heure… Shrî Mâ gardait d’habitude le silence pendant nos promenades matinales. Elle ne le rompait que dans des circonstances exceptionnelles. Je la suivais sans un mot….Un jour, après six ou sept mois, Shrî Mâ me dit pendant notre marche matinale : « Ta vie active touche à sa fin »11
Un disciple de Mâ, Jean-Jacques Enjalbert, est un adepte de la marche nu-pied. Il effectue quotidiennement peut être une quinzaine de kilomètres à pied sans chaussures sur les chemins empierrés du village médiéval de Cordes-sur-Ciel. Il a transformé sa maison du XIVe-XVIIe siècle sur la place de la Halle en maison de Mâ, avec des grandes photos d’elle, des textes choisis et dans certaines salles, des tapis et coussins pour la méditation. Une bonne partie des 700000 visiteurs annuels de la cité moyenâgeuse ne manquent pas de découvrir cette maison hors du commun, où il n’y a rien à vendre mais beaucoup à expérimenter. En général, Jean-Jacques commence sa journée par une marche pieds nus. Non seulement cela, mais s’il se réveille au milieu de la nuit, plutôt que de tourner stérilement dans son lit, il sort et effectue une promenade aussi pieds nus. Après cela, il reprend sa nuit avec un sommeil naturel et réparateur. Evidemment, tout le monde dans tous les endroits du monde ne peut pas sortir en sécurité au milieu de la nuit. Cependant, on peut toujours faire les cent pas chez soi. Ces « cent pas » pratiqués à long terme feront découvrir l’Essentiel, pour ne pas dire les Cent ciels…Jean-Jacques a cette remarque simple sur l’avantage de la marche nu-pieds :
La manière de poser le pas n’est pas la même. Avec les chaussures, on écrase le sol, et souvent avec les talons en premier. Cela crée des microchocs dans la colonne qui ne sont pas bons pour son équilibre et sa détente. Pieds nus, c’est avec le coussin des phalanges,
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des orteils et de l’avant pied qu’on va découvrir le relief du chemin, changeant à chaque pas…Le contact avec la terre fait du bien en soi, on effectue d’ailleurs des thérapies par des emplâtres d’argile. La marche pieds-nus sur le goudron est aussi possible, mais il ne faut pas que celui-ci en été soit trop chaud. On croit qu’on marche pour aller quelque part, mais en réalité on arrive à tout lâcher, on n’est plus que dans le ‘je respire’ et le ‘je suis’. Même si son « sabot » de corne au pied est un peu endommagé pendant la marche, il se refait la nuit. La marche nu-pied rafraîchit le pied et crée ainsi une détente profonde. Sinon, il a tendance à devenir trop chaud dans les chaussures, Nous sommes tellement habitués à cette sensation que nous ne nous en apercevons plus. [Dans les pays du Sud cependant les gens savent cela, et ils retirent les chaussures au moins dans les maisons et les temples, parfois aussi dans les boutiques.]
Pour finir sur cette question de la marche nu-pied, deux notes, l’une sérieuse, l’autre d’humour. Si on décide de pratiquer ce type de marche, il est conseillé d’être à jour de sa vaccination antitétanos, car il s’agit d’une maladie qui n’a pas disparu du paysage français, encore une cinquantaine de personnes en décède tous les ans en France. Maintenant, la note d’humour. En bon Français, Jean-Jacques aime bien aller prendre « son » café du matin dans un bistrot du village, et y lire le journal. Cependant, il est conscient de l’étiquette de ce haut lieu de la culture nationale, il prépare donc ses chaussures dans son sac, les met pour rentrer dans le café-bar, et les retire de nouveau dès qu’il en sort…
La marche dans les traditions occidentales
Pour cette partie, nous nous réfèrerons principalement au livre de Frédéric Gros Marcher, une philosophie12. L’auteur nous a fait l’honneur, à Michel Jourdan et à moi- même, de citer notre livre de poche Marcher, méditer en tête de liste dans sa bibliographie. Son ouvrage est fort bien documenté à la fois sur l’Antiquité, le christianisme et la vie pratique des philosophes en rapport avec la marche. Nous reprendrons des citations de ces philosophes et écrivains, ou des commentaires de F. Gros, et soulignerons à l’occasion des rapports qu’on pourrait dire spontanés, mais fort intéressants, avec la pensée bouddhiste. Bien que son ouvrage soit principalement sur les traditions occidentales, il le conclut, en fait, par une évocation des Lung-gom-pa, un terme qui pourrait se comprendre comme « ceux qui sont familiers ? ou méditent ? avec le vent ». Ce sont ces marcheurs tibétains qui avancent à une vitesse extraordinaire. « Les compagnons de route d’Alexandra David-Neel lui dirent qu’il ne fallait surtout pas parler ou interrompre la marche du Lung-gom-pa, car il était en état d’extase et qu’il pourrait mourir si on le réveillait. Ils le virent passer, impassible, les yeux ouverts, sans courir, mais s’élevant à chaque pas, comme une étoffe légère soulevée par le vent. »13
Ralentissement
« On n’a rien trouvé de mieux, pour aller lentement, que la marche… Toutes ces micro- libérations des moyens de transports et de communications rapides ne représentent jamais que des accélérations du système, qui m’emprisonnent plus fort. Tout ce qui me libère du temps et de l’espace m’aliène à la vitesse. »14 Finalement, ce filet de connexions qui nous entoure, nous serre et brûle comme une tunique de Nexus. On aimerait pouvoir parler de « tunique de Connexus ». Certains se jettent dans le bûcher des drogues pour y échapper, mais il est bien meilleur de se jeter dans celui qui consume l’ego, c’est-à-dire dans la flamme centrale et paisible de l’intériorisation méditative.
Dépassement des limites de l’ego.
Frédéric Gros sent d’emblée ce rôle important de la marche, qui a inspiré des multitudes de pèlerins de différentes traditions au cours des siècles :
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On ne va pas, en marchant, à la rencontre de soi-même, comme s’il s’agissait de se libérer des aliénations anciennes pour reconquérir un moi authentique, une identité perdue. En marchant, on échappe à l’idée même d’identité, à la tentation d’être quelqu’un, c’est bon pour les soirées mondaines où chacun se raconte, ou pour le cabinet du psychologue. Mais être quelqu’un, n’est-ce pas encore une obligation sociale qui enchaîne (on se contraint à être fidèle au portrait de soi-même), une fiction bête pesant sur nos épaules ? La liberté en marchant, c’est de n’être personne, parce que le corps qui marche n’a pas d’histoire, juste un courant de vie immémoriale.15
Nietzsche aimait marcher, nous y reviendrons, et disait : « Je marche beaucoup, à travers les forêts, et j’ai avec moi-même de fameux entretiens »16 La marche permet de se voir de l’extérieur, et d’entamer dans des conditions relativement détendues un dialogue for utile avec soi-même. Il soupire en grimpant les pentes de la Costa dei Fiori près de San Remo dans la région de Gênes : « La marche et le ciel pur ! Qu’avais-je à me torturer autrefois ? »17 « Me retrouver ermite, faire dix heures par jour de marche d’ermite ! »18 Et que fait l’ermite, si ce n’est essayer de mettre un pied, puis les deux, en dehors de l’ego ? Bien marcher, c’est enjamber la clôture, finalement plus fragile qu’on ne pense, entre le petit moi et la conscience pure. Prenons le temps de faire parler Emerson :
Dans les bois, un être humain quitte ses années comme un serpent son ancienne peau – et quelle que soit la période de sa vie à ce moment-là, il demeure toujours un enfant. Dans les bois se trouve la jeunesse éternelle… Là, je sens bien que rien ne peut m’arriver, ni infortune, ni malheur, que la nature ne puisse réparer puisque mes yeux me sont laissés. Debout sur la terre nue, la tête baignant dans une joyeuse atmosphère, s’élevant dans un espace infini, tous nos égoïsmes mesquins s’évanouissent. Je deviens une pupille transparente ; je ne suis rien, je vois tout.19
Thoreau expliquait que la promenade l’aidait à se voir de l’extérieur, de plus haut : « La marche est un long moment où je suis resté à la verticale de moi-même ».20 Le non- attachement de la marche correspond naturellement à la culture du non-ego. Pouvons- nous fredonner, avec les pèlerins de Saint-Jacques, ces paroles anciennes ?
Compagnons,
Nous faut cheminer
Sans faire demeurance.21
Un sage taoïste disait : « Les pieds sur le sol occupent très peu d’espace. C’est par tout l’espace qu’ils n’occupent pas que l’on peut marcher ».22 Il en va de même de notre ego. C’est une sorte de base, un peu comme la plante des pieds, mais c’est en fait par tout ce qui n’est pas notre ego que nous pouvons bouger, vivre et vraiment créer. C’est là le paradoxe, que bien peu de gens réalisent. F.Gros remarque avec un juste sens psychologique : « L’ennui, c’est l’insatisfaction répétée à chaque seconde, c’est le dégoût des commencements : tout lasse sitôt qu’entrepris, parce que c’est moi qui commence. La marche en ceci n’est pas ennuyeuse. Simplement monotone ».23
Santé
Le grand Emmanuel Kant, toute sa vie, quel que soit le temps, allait faire une heure de marche l’après-midi au même moment sur le même chemin du même parc à Königsberg. Cet itinéraire est resté célèbre dans l’histoire locale et il est maintenant nommé Allée du philosophe. Il marchait seul avec la bouche fermée. On retrouve un conseil de base de méditation. En plus du réchauffement de l’air qui rentre dans le corps et du filtrage des poussières possiblement allergisantes, la respiration nasale a l’avantage très probablement de stimuler les endorphines, c’est-à-dire d’induire une attention plus
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focalisée et joyeuse, ainsi que qu’une diminution des douleurs dans le corps. A la manière des moines bouddhistes, il ne dînait pas, il ne prenait même qu’un repas par jour car le matin il se satisfaisait d’un ou deux bols de thé. Toujours à la manière de