Dr H. Gouzènes : La méditation, la contemplation, l’entrainement de l’esrit.
LA MEDITATION, LA CONTEMPLATION, L’ENTRAINEMENT DE L’ESPRIT :
La méditation est l’un des aspects les plus importants de la pratique spirituelle, elle connaît un engouement croissant en occident. Mais au fond, qu’est ce que méditer ? Lorsque l’on va au sport ou au cours de musique on sait bien ce que l’on va y faire! Alors que lorsque l’on vient aux séances ou aux cours de méditation, il est souvent difficile d’expliciter clairement de quoi il s’agit !
La méditation est une activité humaine universelle qui ne se limite pas à la culture orientale : le terme méditer est un terme bien français, dont le sens défini par le dictionnaire est « réfléchir, penser profondément sur un sujet ».
dictionnaire Larousse : Méditation « 1. action de réfléchir, de penser profondément à un sujet, à la réalisation de quelque chose, « – Cet ouvrage est le fruit des ses méditations » ; 2. attitude qui consiste à s’absorber dans une réflexion profonde ; 3. réflexion sur un sujet religieux, application de l’esprit à un tel sujet. ». Méditer : (latin meditari : réfléchir) : « 1. soumettre à une profonde réflexion, méditez mon conseil ; 2. préparer par une longue réflexion, méditer sur un projet, « – il médite de partir ». 3. Se livrer à de profondes méditations sur…, s’absorber dans ses pensées, dans la méditation.
Il ne s’agit donc ni de se vider de ses pensées, ni de se recentrer, de s’isoler, mais bien d’une attitude de l’esprit qui implique l’intellect de manière très importante et exigeante. Ce n’est pas simplement réfléchir mais réfléchir profondément à quelque chose. Pour cela, nous devons donc rechercher et recueillir des idées, les examiner, les critiquer, les classifier et les organiser selon un ordre logique, raisonner, tirer des conclusions… C’est un processus rigoureux opéré par la conscience au moyen de l’intellect. Les sujets de méditation sont variés et ne concernent pas seulement la méditation religieuse : on peut les classifier en objets externes (méditations sur la nature les lois de l’univers) et internes (le corps, le souffle, la santé, les émotions, les pensées, la nature de l’esprit), en objets concrets (la nature, les phénomènes physiques) ou abstraits (les mathématiques), en sujets religieux ou laïcs (méditation scientifique).
Contrairement aux idées reçues, ce sens du mot méditation (réflexion profonde) est fondamentalement présent dans la tradition orientale. On l’appelle parfois « méditation de type analytique ou méditation basée sur la raison ». On a l’habitude de dire que le plus grand monument de l’Inde n’est pas le Taj Mahal, mais sa littérature produite par les grands méditants de son histoire. Les méditants indiens étaient formés au raisonnement grâce à la discipline appelée Nyaya. Chez les tibétains également les ouvrages, produits de la méditation analytique sont très nombreux et d’une grande richesse, les grands méditants sont souvent représentés sur des Tankas avec un livre à la main. Le fruit de la réflexion est donc la connaissance intellectuelle théorique. Ainsi comprise, la méditation prend donc toute sa valeur car elle nous apporte des moyens d’avancer pour la connaissance et la résolution de nos problèmes concrets ou existentiels, mais aussi pour le progrès et le développement de nos capacités. « Le fruit de la méditation est la connaissance » a dit le Bouddha.
Les termes orientaux désignant la méditation sont Gom en tibétain, Dhyana et Samyama en sanskrit.
Gom signifie littéralement « se familiariser avec ». Il y a donc un objet de familiarisation et un processus d’étude poussée au point de la familiarité. La familiarité n’est pas à entendre dans son sens ordinaire (on se tutoie entre copains), mais la familiarité qui naît de la connaissance complète d’un sujet. On pourrait dire par exemple que les mathématiques étaient familières à Einstein.
Dhyana en sanskrit indique aussi cette idée de réflexion profonde sur un objet. Samyama décrit un processus de méditation très profond que ne peuvent atteindre que les yogis très entrainés.
Dans le bouddhisme l’objet de la méditation est le Dharma, c’est-à-dire l’enseignement du Bouddha. Le terme tibétain Sang-gye qui désigne le Bouddha signifie : « Sang- » = totalement purifié, débarrassé de toute perturbation émotionnelle, de toute conception erronée, et de toute ignorance, et « Gye » = pleinement épanoui, qui a développé toutes les qualités et potentiels de l’être. Ainsi on peut comprendre que la méditation bouddhiste nous amène à réfléchir sur nos problèmes, difficultés et souffrances afin d’en connaitre les causes et solutions, et sur nos capacités de plein épanouissement et de bonheur. Au fond il s’agit bien d’une préoccupation universelle : nous souhaitons tous moins souffrir et être plus heureux, même si en pratique nous consacrons trop peu de temps à nous pencher sur ce sujet !
A partir de quand pouvons nous dire que notre réflexion devient profonde, lorsqu’elle produit un texte en 5 pages, 10 pages 50 pages, un livre de 3 tomes, 4 tomes, une encyclopédie ? Lorsqu’elle nous occupe une heure, une journée, une semaine, un mois, une année, une décennie ?
La contemplation : Le sens oriental du mot méditer comporte un deuxième sens que nous pouvons rapprocher de ce que nous appelons en occident : contempler. C’est ce que figure l’épée de Mansjouri (Bouddha de la sagesse et de la connaissance), associée au livre qui figure l’analyse. L’épée tranche l’ignorance : dès que nous avons vu quelque chose nous ne pouvons plus ignorer son existence.
En français, contempler signifie « observer longuement, très attentivement, minutieusement, avec une application très profonde de l’esprit à un objet.
Dans le terme tibétain Lhaktong ou méditation de la vision pénétrante, « Tong » signifie « voir ».
Pour expliciter cela, prenons un exemple : nous connaissons au moins de nom les iles Fidji, mais uniquement superficiellement et intellectuellement. Nous pouvons en connaître beaucoup de choses à partir de livres de films, de récits. Cependant, nous pouvons aussi nous y rendre pour les contempler, non pas simplement les admirer comme un touriste, mais pour les connaitre sous tous leurs aspects (population, économie, géographie, histoire, faune flore, climat…).
Le fruit de la contemplation est la « connaissance directe, expérientielle » : il s’agit aussi de connaître l’objet, au point de se familiariser (tibétain « gom ») avec lui, avoir une connaissance si profonde du sujet qu’il nous est devenu familier, comme la musique est familière à un chef d’orchestre. Cela dit, il nous est aussi possible de « se familiariser » avec des concepts ou des objets simples.
Le terme dhyana qualifie également ce processus. Mais il sous-tend une pratique plus profonde appelée samyama. Ceci est explicité dans les Yoga Sutras de Patranjali (III.1.2.3.4.) Dharanareprésente la capacité à tenir son attention sur un objet (l’objet n’est qu’objet de concentration, sa nature importe peu), la concentration, Samadhi signifie la stabilité de l’esprit (racine indoeuropéenne : en anglais : same state of consciousness), Dhyana décrit l’union de l’esprit à l’objet d’expérience (dans Dhyana il y a donc objet et expérience résultante. Samyama nomme l’union accomplie de ces trois processus. Samyama indique donc un degré très profond de méditation, que l’on peut rapprocher du « Chemin de la Méditation » dans la description traditionnelle des Terres et des Chemin des Boddhisatvas.
Les orientaux ont donc développé différents aspects et notions concernant la profondeur de la méditation associée à la contemplation qu’ils estiment pouvoir être portée jusqu’à l’extrême, représenté par la connaissance complète et totale d’un sujet, dans tous ses détails et sa globalité, incluant tous les aspects relatifs et ultimes. C’est la connaissance ou vision « holistique » (qui fait donc aussi partie de la conception grecque holos = tout) appelée en sanskrit Samprajna. Elle nécessite l’acquisition de qualités de l’esprit particulières appeléessamprajnata samadhi, en quelques mots, il s’agit d’avoir l’esprit stable et capable d’intégrer la globalité d’un sujet. Les objets de contemplation peuvent être externes (la nature) ou interne (méditation introspective).
L’entrainement méditatif, l’entrainement de l’esprit :
Que l’on pratique la méditation ou la contemplation, dans tous les cas c’est l’esprit qui médite, c’est l’esprit qui contemple. Aussi pour améliorer ses capacités à méditer, il est utile d’entrainer son esprit. Le terme « pratiquer » (le yoga, la méditation) en tibétain nyam-len signifie littéralement « acquérir de l’expérience ».
L’entrainement méditatif a été très étudié et codifié par les orientaux ; ces techniques doivent être correctement comprises : de même qu’on peut distinguer les vocalises du chant proprement dit, il ne faut pas confondre l’entrainement méditatif et la méditation elle-même : s’isoler, s’asseoir, calmer son esprit, le stabiliser, se concentrer, …ne sont pas de la méditation mais une préparation à la méditation pour le développement des qualités d’esprit qu’elle requiert. Lodjongen tibétain signifie « l’entrainement » ou « la transformation de l’esprit ».
Pour méditer comme pour contempler, les qualités de base nécessaires peuvent être améliorées grâce à ce que l’on appelle en tibétain l’entrainement de Shine, qui inclut 3 aspects principaux : la stabilité de l’esprit (nepa), la pacification (shiwa), et la conscience claire et connaissante (rigpa). On retrouve cette même notion dans les yoga-sutras de Patanjali : le yoga est l’arrêt des mouvements de la conscience (YSP, I-2), ainsi l’observateur, le contemplatif s’établit sous sa propre forme (YSP, I-3).
Si l’on veut vraiment progresser dans l’entrainement spirituel, il va être nécessaire de connaitre l’esprit qui va donc devenir l’objet de la méditation et de la contemplation.
La méditation analytique nécessite d’entrainer un certain nombre de qualités plus spécifiques: l’attention, le calme et la stabilité de l’esprit, la persévérance, la logique, le discernement, la clarté de l’esprit, le calme, l’intelligence, le sens critique….
L’entrainement contemplatif est une discipline qui nécessite le développement de qualités particulières de l’esprit : l’attention, la présence dans l’instant, le calme et la stabilité de l’esprit, la perception fine et subtile, la discrimination …
Il existe donc un très grand nombre de pratiques d’entraînement de l’esprit permettant de progresser dans la méditation.
Les yogis développent préférentiellement la contemplation introspective (svadhyaya). L’entrainement de l’esprit est donc très important dans cette discipline, pour apprendre à regarder « vers l’intérieur ». Les méthodes d’entrainement allient dharana, dhyana et samadhi.
La méditation et la contemplation sur nos souffrances et nos possibilités d’épanouissement aboutissent à la conclusion que c’est notre esprit qui souffre ou qui est heureux et qu’une grande partie des causes et des conditions de nos souffrances et de nos bonheurs se trouve en l’esprit. Aussi l’entrainement/transformation de l’esprit est donc plus qu’une base nécessaire à la méditation, c’est aussi une solution concrète au problème de la souffrance et au besoin d’être plus heureux. Comment expérimenter un bonheur stable avec un esprit instable ?
Les techniques de transformation de l’esprit sont d’ailleurs de plus en plus communément utilisées en psychologie pour la gestion du stress, de la santé mentale (et sont souvent improprement appelées « méditation »). Après tout, les sportifs aussi entrainent leur esprit pour être combattifs dans la compétition, sont-ils des méditants pour autant ? Le dictionnaire anglais Oxford 2010 a inclut dans la définition du mot méditer : « focaliser son attention pendant un certain temps (sur un support) comme méthode de relaxation » ! Je ne suis pas sûr que nos maîtres de méditation acceptent de considérer méditation et relaxation comme synonymes ! Il faut être relaxé pour méditer mais cela ne suffit pas. Enseigner ces pratiques en les appliquant à la gestion du stress est un grand bienfait mais les nommer « méditation » porte préjudice à la méditation, car on la confond avec des pratiques préparatoires, et cela porte préjudice à la personne elle-même qui croit méditer ou savoir méditer alors qu’elle se prive ainsi de l’essentiel !