Dr H. Gouzènes : Compréhension et Gestion des émotions
Compréhension et Gestion des émotions
Le sujet des émotions est important car elles occupent une grande part de notre vécu intérieur. Le yoga s’y intéresse bien évidement : dans les traditions indiennes et tibétaines, spirituelles ou médicales, elles occupent une place majeure.
En occident, l’éducation à la santé émotionnelle fut très réduite pendant ces derniers siècles mais depuis la fin du 20ème siècle, les sciences humaines et médicales ont recommencé à les étudier et nous pouvons bénéficier de recherches passionnantes, faites notamment par les neurosciences.
DEFINITIONS :
La santé définie par l’OMS n’est pas que l’absence de maladie, c’est un état dynamique de bien-être physique, psychique et social), elle conçoit donc la notion de bien/mal-être psychique. Les émotions ne sont qu’une partie de ce qu’on appelle l’affectivité qui inclut les sentiments (élaborés) et les affects (rudimentaires). De la même manière les orientaux ont classé les états affectifs en deux catégories : ceux qui favorisent le bien-être et le bonheur (sukkha, skt), ceux qui entraînent mal-être et souffrance (dukkha, skt). Ces derniers sont appelés afflictions kleshas (skt) nyeun-mong (tib). « Cultiver » sa santé mène à favoriser les éléments positifs de l’affectivité et à réduire les éléments afflictifs.
On traduit souvent kleshas par « émotions perturbatrices », alors que les systèmes indiens comme tibétains incluent les 3 aspects de l’affectivité. Par exemple, la colère peut être un simple affect (reptilien), une émotion (mammifère) ou un sentiment (humain).
QUE SONT LES MANIFESTATIONS DE L’AFFECTIVITE ? :
Ce sont des phénomènes de l’esprit : c’est facile à comprendre : dans le sommeil profond, le coma et la mort il n’y a pas d’émotions, alors que tous les organes du corps sont bien présents.
Ce sont des phénomènes du corps : si pour certains, la part physique de l’émotion n’est qu’une théorie, une croyance, c’est un fait scientifique facile à démontrer : nul besoin d’utiliser une technologie complexe pour observer des signes physiques évidents.
Par un exemple dans la timidité, on peut voir un signe physique : la rougeur du visage ; pour celui qui la vit, il ressent la chaleur du visage, Ces phénomènes sont liés au changement de circulation sanguine.
Ce sont donc des phénomènes psychophysiques : (psychosomatiques), alors que les pensées, concepts, souvenirs sont des phénomènes purement mentaux. Ces modifications psychophysiques peuvent être bénéfiques ou dérangeantes voire délétères pour le corps, l’esprit et la vie relationnelle. Ainsi les orientaux décrivent-ils les kleshas : les méditants les voient comme poisons de l’esprit, les médecins comme poisons du corps. Les afflictions peuvent être de courte ou longue durée, de faible ou forte intensité, plus ou moins intriquées les unes avec les autres. Elles peuvent provoquer des troubles fonctionnels ponctuels ou durables qui peuvent être considérablement améliorés par des pratiques yoguiques adaptées et comprises. Durables ou intenses, elles peuvent provoquer des lésions organiques, des maladies. Cela devient l’affaire de la médecine, mais le yoga y ajoute une aide précieuse.
Le bouddhisme explique que les kleshas sont basés sur les 3 « poisons-racines » de l’esprit : le désir, l’aversion, l’obscurcissement de l’esprit, poisons mentaux qui sont enracinés dans une cause commune : « la saisie de l’ego ». Selon la science moderne la cause des émotions réside dans l’esprit (et/ou dans l’organisation neuro-hormonale des fonctions cérébrales). Elles se manifestent en dépendance de conditions extérieures (la vue de quelque chose que l’on aime ou pas), ou intérieures (ressasser ses problèmes, s’inquiéter pour l’avenir, rêver).
APPROCHE DES EMOTIONS PAR LE YOGA :
De nombreux conseils judicieux sont donnés par le yoga pour acquérir une meilleure gestion de ces états intérieurs. De manière simplifiée, la méthode propose de s’apaiser et d’être capable de regarder « l’esprit calme et à tête reposée » : l’objet, sa propre réaction, et le sujet qui expérimente, pour s’adapter autrement. (Il est aussi utile d’apprendre à se détacher de l’objet stimulant).
La relaxation :
La grande majorité des méthodes modernes de gestion du stress passe par la relaxation. Nombreux sont ceux qui n’ont jamais appris à s’apaiser ! Dans l’enfance, ce sont habituellement les adultes (parents, éducateurs…) qui consolent, apaisent, rassurent jusqu’à l’adolescence, mais à l’âge adulte, nous ne sommes pas éduqués à le faire par nous-même. C’est aussi ce que propose d’emblée Patanjali. Aborder une asana selon le concept sthira-sukkha, indique clairement de s’établir dans un état de bien- être intérieur (sukkha). Savasana (posture couchée) est la méthode principale.
Il existe différentes méthodes qui sont basées sur les mêmes principes. Le fondement est simplement de poser son esprit sur un support apaisant. Le yoga privilégie les objets intérieurs : visualisations, récitations, souffle, mais les objets externes ne sont pas exclus. La capacité à se détendre s’entraine : selon l’intensité de l’état de relaxation réalisé on peut apaiser voire dissiper des émotions plus ou moins intenses. L’entrainement se fait « à froid » sur le tapis, puis en situation.
La relaxation permet d’apaiser toutes sortes d’émotions : peur, anxiété, colère, tristesse… Cela permet temporairement d’arrêter de se focaliser sur les conditions de tensions, de réduire les habitudes mentales et les pensées discursives (ressasser, nourrir une anticipation anxieuse). C’est à la base de ce qui est appelé la pratique des « antidotes » : on ne peut être à la fois détendu et énervé, triste et joyeux. La relaxation met en route les structures du cerveau reptilien.
Le souffle est un bon support de relaxation : Il est toujours disponible. Il recentre dans l’ici et maintenant. Pour respirer confortablement, il faut se détendre comportementalement et émotionnellement. Respiration naturelle et respirations profondes peuvent être utilisées.
La respiration est utilisée couramment en formation professionnelle pour aider les personnes en contact avec du public à garder leur calme, 2 ou 3 respirations profondes, lentes et silencieuses suffisent souvent.
Il est nécessaire de bien éduquer les élèves à la bonne mécanique respiratoire pour ne pas entrainer de désordres physiques et à respecter un état physiologique respiratoire correct (ayukta pranayama = pranayama incorrect): certaines personnes anxieuses ont recours à la respiration profonde pour gérer leurs angoisses mais hyper-ventilent, font des crises de tétanie, voire perdent conscience. La bonne physiologie respiratoire est nécessaire mais c’est le ressenti qui permet l’expérience de la relaxation.
Il existe d’autres causes de tensions que l’affectivité : l’activité physique, les attitudes comportementales, les conditions physicochimiques externes et internes (température, alimentation et boissons…), les situations médicales (rhumatismes, infections, traumatismes…). Ces différents types de tensions peuvent être intriqués chez un même individu. Chaque type de tension nécessite une prise en charge spécifique. Une prise en charge globale (holistique) telle que le propose le yoga nécessite de faire part de discrimination, pour éviter de tout mélanger ou d’attribuer à tort des causes erronées à un phénomène.
La pratique du calme intérieur (skt Samatha, tib Shi-ne)
Une fois détendu, on s’applique à maintenir le calme intérieur en posant l’esprit sur un support stable, le souffle par exemple. Il ne suffit pas de poser l’esprit sur un support, il faut aussi maintenir le calme mental et émotionnel car on peut respirer naturellement ou profondément, tout en entretenant un discours intérieur émotionnellement négatif. Il ne s’agit pas de faire le vide dans son esprit mais de le remplir de calme. Samatha vise la paix de l’esprit, la stabilité, et la pleine conscience.
Cela réduit considérablement l’hyperémotivité, les habitudes mentales, les pensées discursives. Cela permet à l’individu plus calme de réfléchir correctement à ses problèmes et à leurs solutions car l’affectivité modifie les facultés de perception, de raisonnement et de jugement.
Le pranayama a un intérêt très précis dans le cadre de la gestion des émotions, en effet, les émotions s’inscrivent dans le corps selon des configurations musculo-squelettiques et viscérales particulières, que l’on peut observer par la contemplation introspective. Ces procédures participent de l’approfondissement du calme de l’esprit nécessaire au travail sur les « poisons de l’esprit », elles sont indispensables pour obtenir l’apaisement complet de l’esprit et l’éradication complète et définitive des racines afflictives.
Examiner émotions, situation, et sujet qui les vit :
C’est la phase de méditation et contemplation proprement dite, qui permet de faire la part des choses, de comprendre les causes et les conditions, effets et conséquences, et de travailler à leurs gestions. L’ignorance a deux aspects : – ne pas voir : on y remédie par la contemplation – ne pas savoir : on y remédie par la méditation.
De nombreux conseils nous sont donnés : les yamas/niyamas invitent à favoriser des états d’esprit positifs comme le contentement (samtosha). Le concept d’asana propose aussi de méditer sur Sukkha(que Matthieu Ricard traduit par bonheur).
La cessation de la saisie des émotions et de l’ego comme étant des phénomènes figés, permanents et existants de par eux même indépendamment de causes et de conditions, est la méthode la plus profonde permettant l’éradication complète des afflictions L’état obtenu est appelé la libération, à ne pas confondre avec la réalisation de shi-ne, où les afflictions ne sont qu’apaisées mais pas déracinées, et l’Eveil, où est réalisé le plein développement des qualités de l’esprit, notamment l’amour et la compassion universelle.
Comprendre que derrière l’énervement, la déception qui résultent d’avoir perdu ou cassé un objet, se cache l’attachement à l’objet, l’incapacité de concevoir que cet objet est impermanent par nature, l’ego maintient dans l’illusion que cela n’arrive qu’aux autres et que c’est une partie de nous-même qui disparait avec l’objet !!!
La méthodologie proposée par les yogas est donc essentiellement méditative (Patanjali).
Bibliographie très sommaire
« Yoga sutra » de Patanjali. « L’intelligence émotionnelle » Goleman. « Les émotions » Lama Guendune. « L’éveil du corps sacré » yoga tibétain de la respiration et du mouvement.
« Le stress au travail » Légeron. « Que se passe-t-il en moi ? » Isabelle Filiozat. « Les états d’âme » Christophe André. « Biologie des passions » Jean-Didier Vincent.