Jacques Vigne : Les sept points de l’entrainement de l’esprit
« L’entraînement de l’esprit » correspond au terme tibétain lo-jong: lo signifie attitude, esprit, intelligence ; et jong signifie entraîner, purifier, apporter un remède, ou dégager. On pourrait donc traduire lojong par s’entraîner pour changer son attitude, mais on rend d’habitude par « l’entraînement de l’esprit ».
Le texte principal a été apporté d’Inde au Tibet par Atisha aux environs de l’an 1000. C’est un des textes spirituels tibétains les plus connus, une sorte d’équivalent de la Bhagavad-Gita pour les hindous. Comme elle, il associe différentes pratiques qui peuvent être effectuées tout en vivant dans le monde. De par la brièveté de ses maximes, on pourrait aussi le rapprocher des aphorismes du yoga de Patanjali.
La méditation de ce texte condensé est particulièrement recommandée par Tenzin Palmo, cette anglaise qui a passé onze ans et demi dans une grotte du Lahoul, à la frontière du Tibet. Elle en a conseillé la lecture à une Française en visite dans son monastère actuel de l’Himalaya lors d’un entretien récent que je traduisais,
Il s’agissait également d’une des textes préférés de Dilgo Khyentsé Rimpoché, le maître de Mathieu Ricard, et c’est le dernier texte qu’il ait enseigné à un public d’occidentaux. Il était un maître d’enseignements profonds comme le Mahamoudra ou le Dzogchen, mais pourtant, de tous les enseignements qu’il connaissait, c’était l’Entraînement de l’esprit qu’il voulait le plus nous laisser. Dans ses propres termes :
Il existe de nombreux enseignements, profonds et vastes, comme le Mahamoudra et le Dzogchen. Mais notre capacité est petite, nous sommes sans persévérance et manquons d’un respect et d’une dévotion suffisante pour être libérés à travers de tels enseignements. Néanmoins, si nous pratiquons cet Entraînement de l’esprit, nous en ressentirons de grands bénéfices. Il s’agit d’une série d’instructions extraordinaires, l’essence même des enseignements des bodhisattvas, et on l’a mis régulièrement en exergue. Ainsi donc, commençons-nous à le pratiquer sans distractions. »[i]
La traduction est effectuée à partir de l’édition anglaise par B.. Alan Wallace (Buddhism With An Attitude Snow Lion Publications, New York, 1998. On a mis en italique une explication brève de la signification de certaines séries mentionnées dans les aphorismes, afin d’en faciliter la méditation.
Le texte
Le premier point : les préliminaires
D’abord, entraîner-vous aux préliminaires.
– La vie humaine est rare et précieuse de loisirs et d’opportunités.
– La mort et l’impermanence.
– La nature frustrante du cycle de l’existence.
– Le karma.
Le second point : cultiver la bodhicitta ultime et relative
Une fois établie la stabilité, révéler le mystère.
Regarder tous les événements comme des rêves.
Examiner la nature non née de la conscience.
Le remède lui-même est libre et gratuit, juste là où il est.
La nature essentielle du chemin repose sur la base universelle.
Entre les séances, être une personne illusoire.
Pratiquer le mouvement alternant de donner et prendre.
Faites chevaucher les deux (mouvements) sur votre souffle.
Trois objets, trois poisons, trois racines de la vertu.
Les personnes qu’on aime induisent le poison de l’attachement, celles qu’on n’aime pas le poison de l’aversion, et celles qui vous sont indifférentes le poison de l’ennui. Appliquer l’antidote de ces poisons constitue les trois racines de la vertu.
En tout ce que vous faites, pratiquer avec des paroles.
Avant toute action, offrir explicitement ses mérites pour le bénéfice des autres.
Le troisième point : transformer l’adversité en aide pour l’éveil spirituel.
Tandis que le monde entier est l’esclave des vices, transformer les adversités en chemin d’éveil spirituel.
Blâmer un seul coupable pour tout. (l’ego)
Réfléchir sur la bonté de tous et toutes autour de vous.
En méditant sur l’apparence illusoire en tant que les quatre incarnations, la vacuité devient la meilleure protection.
Les incarnations sont ici les trois corps habituels du mahayana, d’absolu, de joie et de manifestation, plus le svabhavakâya, le ‘corps naturel’ qui regroupe inséparablement les trois premiers.
La meilleure stratégie est d’avoir quatre pratiques.
Accumuler des mérites, purifier les vices, faire des offrandes aux esprits, et faire des offrandes aux Protecteurs du dharma.
Quoiqu’on rencontre, l’appliquer immédiatement à la méditation.
Le quatrième point : une synthèse des pratiques pour une vie.
Pour synthétiser l’essence de ces conseils pratiques, appliquer vous-même les cinq pouvoirs.
Résolution, familiarisation, graines positives, rejet massif (de l’ego) et prière.
L’enseignement du Mahâyâna sur le transfert de conscience consiste précisément en ces cinq pouvoirs, votre conduite est donc cruciale.
Le cinquième point : les critères d’un bon niveau dans l’entraînement de l’esprit
L’ensemble du dharma est synthétisé en un but (déraciner l’ego).
Se préoccuper du principal des deux témoins.
(de l’observateur intérieur plutôt que de l’entourage)
Constamment, prendre appui sur un sens de bonne humeur.
Le sixième point : les engagements de l’entraînement de l’esprit.
Toujours, reposer-vous sur trois principes.
1) N’aller pas à l’encontre de ses engagements pour entraîner l’esprit 2) Ne pas se croire invulnérable 3) Ne pas être instable dans votre pratique.
Changer ses priorités, mais demeurer là où on est.
Ne pas parler des limitations des autres.
Ne pas se poser comme juge des autres.
Abandonner tout espoir de récompense.
Éviter la nourriture empoisonnée (les pensées négatives).
Ne pas se laisser aller à l’indignation apparemment juste.
Ne pas se lancer dans l’ironie destructrice.
Ne pas tendre d’embuscades.
Ne pas chercher à se venger par derrière.
Ne pas charger le fardeau d’un boeuf sur un petit veau.
Ne pas arriver au sommet par la flatterie.
Éviter les faux-semblants.
Ne pas rabaisser un dieu au niveau d’un démon.
Ne pas prendre avantage du malheur de l’autre.
Le septième point : Les préceptes du l’entraînement de l’esprit
Synthétiser toutes les pratiques méditatives en une seule.
Il s’agit de l’entraînement de l’esprit, avec ses deux volets, la bodhicitta relative (compassion) et celle absolue (vacuité)
Répondre d’une seule façon à tous les accès de découragement.
En pratiquant le Dharma plutôt que de bricoler toutes sortes de solutions temporaires et secondaires.
Il y a deux étapes, au début et à la fin.
Au début de la pratique, la motivation pour la réalisation et l’altruisme, à la fin, la consécration de ses mérites aux autres.
Supporter n’importe lequel des deux qui survient.
La félicité et l’adversité
Garder les deux au coût de sa vie.
La bodhicitta relative (compassion) et celle absolue (vacuité).
Pratiquer les trois austérités.
1) Se souvenir des antidotes aux émotions perturbatrices. 2) Les voir venir de loin pour les éviter. 3) Si elles surviennent quand même, couper court.
Acquérir les trois causes principales.
1) Un bon maître. 2) Suivre ses instructions. 3) Organiser les conditions extérieures et intérieures pour une bonne pratique.
Cultiver les trois choses sans les laisser se détériorer.
La confiance dans le maître, l’enthousiasme pour l’entraînement, et une attention minutieuse dans le suivi de ses engagements et préceptes.
Maintenir les trois choses inséparablement.
Les vertus du corps, de la parole et de l’esprit.
Méditer constamment sur ceux qui ressortent.
C’est-à-dire ses ennemis extérieurs ou intérieurs, qui se rappellent à vous et ressortent comme une épine dans le doigt.
Ne pas dépendre d’autres facteurs.
extérieurs, on peut pratiquer en toutes circonstances.
Pratiquer ce qui est important.
La voie spirituelle par rapport aux centres d’intérêt mondains.
Ne pas faire d’erreurs.
Ne pas être incohérent.
Pratiquer avec une conviction totale.
Se libérer grâce à l’investigation et à l’analyse.
Ne pas essayer d’impressionner les autres.
Ne pas être asservi par des accès de colère.
Ne pas être d’humeur changeante.
Ne pas aspirer à la gratitude.