Jacques Vigne : Le yoga pour les étudiants
Cette conférence a été reprise deux fois, dans une université du sud du Liban près de Tyr, en anglais, et une autre au Nord à Tripoli, en français. Dans les deux cas, il y a eu traduction en arabe pour faciliter une bonne compréhension par les étudiants. Nous nous sommes dit que cette intervention serait intéressante pour un public plus large, et qu’elle pourrait être réunie dans un petit livre avec d’autres conférences. J’ai donc rédigé le texte ci-dessous.
Je suis heureux de pouvoir vous parler aujourd’hui de ce sujet du yoga que je pratique et enseigne depuis une trentaine d’années. En fait, il y a 30 ans exactement, je l’ai enseigné aux étudiants de la faculté de Sétif en Algérie. Je faisais ma coopération comme médecin psychiatre et j’enseignais cette matière de la psychiatrie aux étudiants en médecine et aux étudiants infirmiers. Il y avait jusqu’à 100 étudiants au cours de yoga. Cela a attiré la méfiance des autorités de l’université à la solde du gouvernement militaire. Ils ont vu là le début d’une révolution étudiante et ont interdit les cours, sans doute avec la sympathie des islamistes qui voyaient d’un mauvais œil qu’on puisse s’intéresser à quelque chose qui vienne de l’Inde et qui n’était pas musulman à l’origine. Ensuite, ces mêmes islamistes ont déclenché une guerre civile contre l’armée qui a fait plus de 100 000 morts. Conclusion : ils auraient mieux fait de pratiquer le yoga…Par ailleurs, j’avais non seulement donc commencé à enseigner le yoga en Algérie pour les étudiants, mais aussi pour les femmes enceintes. Le directeur général de la santé d’Algérie m’avait dit à l’époque que j’étais le premier à faire cela. On peut décrire une même base technique dans la préparation à cette épreuve qu’est un examen et à cette autre épreuve qu’est un accouchement, en se servant d’une combinaison de visualisations et de relaxations. Nous allons y revenir ci-dessous.
Depuis une quarantaine d’années, le yoga a pris son indépendance vis-à-vis des racines indiennes et est devenue une discipline pratiquée dans le monde entier. Étant fondé directement sur le corps, la respiration et la faculté de concentrer l’esprit, il peut être facilement développé comme une discipline laïque au bon sens du terme, c’est-à-dire non pas comme une activité antireligieuse, mais un travail qui peut s’accommoder de différentes croyances aussi bien que de l’agnosticisme, c’est-à-dire le fait de ne pas vouloir se prononcer sur ce qu’il y a au-delà de la mort, qu’il s’agisse d’une âme éternelle ou d’un Dieu éternel. Les études scientifiques sur le yoga et la méditation se sont multipliées, en particulier à propos d’une méthode qui associe certaines postures de hatha-yoga et le balayage du corps par la conscience. Elle s’appelle la méthode de pleine conscience, en anglais mindfulness, et elle est structurée dans un programme d’enseignement standard appelé MBSR, Mind Based Stress Reduction. Les techniques utilisées n’ont rien de nouveau, elles sont fondées sur le hatha-yoga et le vipassana du bouddhisme, mais la nouveauté de la méthode réside dans le nombre d’études auxquelles elle a donné lieu, il est impressionnant : 310 pour l’année 2011, plus de 500 pour l’année 2013. Quand on sait qu’il faut environ sept ans pour concevoir, réaliser et faire publier une étude médicale, on peut mieux mesurer le travail fourni pour en faire publier 500 dans la même année. Depuis 2004, le Ministère de la santé américain finance une partie de ces études. Trop souvent, les pratiques religieuses ou spirituelles sont vécues comme antinomiques avec l’approche scientifique. Cependant, ici, nous avons une belle convergence des deux approches, ce qui représente un avenir pour l’humanité.
En dehors de ces développements scientifiques, l’aspect sociologique du yoga en Occident est important : il est pratiqué en majorité par des femmes, bien que beaucoup d’hommes aussi choisissent comme carrière professeur de yoga. C’est une manière de se prendre en main pour leur développement personnel en dehors des cadres habituels de la famille et du travail. La participation à des cours de hatha-yoga ou de disciplines équivalentes est devenue en quelque sorte un signe de la femme moderne. Je peux parler de l’exemple de la France que je connais bien puisque j’y ai fait des tournées régulières. Depuis une trentaine d’années, les cours de hatha-yoga ont pénétré les salles de mairie ou les MJC (Maisons des Jeunes de la Culture) des moindres villages. On peut distinguer trois niveaux d’approche, le niveau de base comme exercice physique avec un effet particulièrement prononcé pour atténuer le stress, le niveau du développement personnel physique, psychologique et spirituel de type laïque, et le niveau d’une pratique de yoga traditionnel en lien avec les sources mystiques de l’Inde. Je pense que c’est cette souplesse d’utilisation du yoga qui est une raison de son succès dans le monde entier.
L’Inde n’est pas restée en reste dans ce développement moderne du yoga, bien qu’elle s’y soit mise avec un certain retard par rapport à l’Occident. Pendant longtemps, la pratique des postures été limitée à certains yoguis qui effectuaient cela comme une pratique avancée. Cependant, en particulier grâce à la télévision, les cours de yoga thérapie du matin sur différentes chaînes se sont multipliés. Celui qui a eu le plus de succès est Swami Ramdev. On estime à 20 millions le nombre de ses auditeurs chaque matin. Il associe à la yoga thérapie des recettes de médecine ayurvédique pour les maladies courantes. Il semble que non seulement les hindous, mais aussi un certain nombre de musulmans suivent ces émissions et pratiquent ce qui y est enseigné, car eux aussi ont leurs problèmes de stress et de santé. Cela est une grande nouveauté pour la société indienne, qui tend à être assez strictement séparée au niveau des communautés religieuses, en particulier à propos des pratiques d’intériorisation.
J’ai commencé le yoga en seconde année d’université, quand j’étais étudiant en mathématiques et physique à Jussieu à Paris. Nous étions entre 50 et 100 étudiants au cours, c’était donc une activité qui avait du succès déjà à cette époque, c’est-à-dire en 1974. Ma motivation pour pratiquer au départ était plutôt simple : réduire le stress et mieux me connaître moi-même. Ensuite, durant mes études de médecine et de psychiatrie s’est développée l’envie de développer le yoga et la méditation comme forme de thérapie et avant même cela de prévention. J’ai étudié puis fait des recherches pendant 18 ans à l’université, si j’inclus les années en Inde reliées à ce type d’institution ; à la fois les pratiques physiques et de concentrations du yoga m’ont bien aidé pour passer mes examens année après année, et arriver à ce niveau « bac+18 ». De nouveau, je suis maintenant dans une tournée de conférences et séminaires pendant un an et demi, je change d’endroit en moyenne tous les trois jours, et la pratique du yoga m’aide régulièrement à retrouver mon centre dans tous ces déplacements.
Comment réduire le stress par le yoga
La posture a déjà son importance. Quand on étudie et qu’on cherche à mémoriser, le stress perturbe l’attention amène soit à être surexcité, soit parfois, de façon paradoxale, à fuir dans la somnolence. Pour éviter ces écueils, on peut prendre des postures corporelles qui favorisent l’attention. On sait du point de vue neurophysiologique qu’il y a des fibres nerveuses spéciales, les fibres bêta, qui ont des récepteurs dans les capsules articulaires les tendons des muscles qui activent directement la substance réticulée activatrice au niveau du bulbe rachidien. Celle-ci induit un éveil général du cerveau, lutte contre la somnolence et favorise donc le bon fonctionnement de toutes les fonctions cognitives, à commencer par l’attention et la mémoire, d’où son importance pour les étudiants. En pratique, une des postures qui étirent le mieux les articulations des jambes est la posture du lotus, qu’on voit régulièrement dans les représentations indiennes des dieux ou bouddhas. Il y a un étirement important à la fois les chevilles, des genoux et des hanches. Il n’y a pas besoin de croire aux dieux de l’Inde pour ressentir cela, c’est tout à fait physiologique. Certes, on peut avoir des petites douleurs en pratiquant cette position pendant un certain temps, mais ces douleurs elles-mêmes ont une fonction de réveiller le corps et l’attention. Pour les dépasser, le corps secrète des endorphines qui ont donc déjà un effet antalgique, mais aussi induisent la joie de vivre et l’appétit de connaître, c’est dire qu’elles aiguisent attention. Tout ceci est très utile pour réveiller une bonne motivation pour les études, et j’ai donc moi-même effectué mes 18 années de travail à l’université installé chez moi pour étudier assis dans une posture proche du lotus. Mon père qui du point de vue religieux était catholique pratiquant avait compris cela du yoga. Il disait souvent des ouvrages pour son développement intérieur et le faisait donc assis également dans une position proche du lotus. Le fait d’utiliser un coussin permet une meilleure bascule du bassin : en augmentant la courbure de la charnière lombo-sacrée, c’est-à-dire en creusant les reins, on renforce la force vitale d’après la médecine chinoise. On sent immédiatement qu’on développe aussi la non peur, car la peur elle-même tend au contraire à nous faire se recroqueviller sur nous-mêmes.
Envisageons maintenant la visualisation pour atténuer le stress, par exemple au moment des examens. Les étudiants redoutent à juste titre le trou de mémoire émotionnel, le « krach » qui fait qu’on n’est pas capable d’écrire sur le papier ce que pourtant on sait très bien. On combat cela en s’entraînant à l’avance d’une façon simple : il s’agit de visualiser la salle de l’examen avec tous ces détails, en étant le plus sensoriel possible, c’est-à-dire en sentant aussi la chaleur, les bruits, les odeurs, etc. et on associe à cela un travail de relaxation profondeur. Pour réussir celui-ci, il est bon de faire un travail systématique en balayant le corps parti par partie. On peut par exemple contracter chacune des parties du corps l’une après l’autre sur l’inspiration, et la détendre sur l’expiration, ou encore la détendre simplement par la conscience. On peut aussi s’aider de sensations de chaleur et de lumière dans chaque partie du corps, ou utiliser des visualisations plus poétiques, par exemple ressentir chaque sensation comme une fleur qui s’ouvre. L’efficacité de la méthode tient sur un nouveau conditionnement, consistant à associer la situation stressante non pas à une tension, mais au contraire à une relaxation. Après ce premier stade, on peut approfondir la méthode en pré-voyant des situations plus récentes : sur les cinq questions de l’examen par exemple, il y en a deux qu’on ne connaît pas du tout. Ou encore, on s’aperçoit après que les trois quarts du temps de l’examen soient écoulés qu’on n’a rédigé qu’un quart de la réponse aux questions… Quand on pénètre bien par l’imagination dans ces situations, le stress revient dans le corps, et à ce moment-là on refait ainsi de la relaxation pour dissoudre les tensions liées à ce stress. La troisième phase va dans le même sens, on prévoit le pire, c’est-à-dire qu’on rate son examen de façon humiliante. On s’imagine en face de la liste des résultats et on prévoit sa déception, sa colère, etc. et on associe tout cela à une relaxation encore plus profonde. En effet, l’erreur que font souvent les étudiants est de stagner dans une motivation positive primaire. Ils essaient de se convaincre que rater leur examen est à proprement parler impensable, et croient se motiver au travail ainsi. Mais c’est une arme à double tranchant. En effet, le fait de ne pas avoir de plan B comme on dit, c’est-à-dire de ne pas vouloir considérer paisiblement les autres études et activités qu’on pourra faire si on a raté l’examen, augmente en fait le stress avant et pendant celui-ci. Cela peut même pousser, au pire, au suicide en cas d’échec, comme c’est malheureusement le cas de temps à autre. Vu d’un point de vue large, du le point de vue de Sirius comme on dit, aucun échec aux examens n’est une question de vie ou de mort.
En plus du balayage du corps, une bonne manière de déclencher le réflexe de relaxation est de se reposer avec les poumons vides, en retardant la réinspiration. L’anxiété, quant à elle, correspond au contraire à une sorte d’arrêt poumons plein : on se sent en train d’asphyxier, de se noyer, et on cherche à inspirer encore plus en quelque sorte pour survivre. On mobilise pour cela les muscles respiratoires auxiliaires qui sont dans le cou, et à force d’être tendus, ils deviennent douloureux, d’où cette sensation de boule de tension dans la gorge qui est désagréable et devient un signe évident d’anxiété. Si on arrête au contraire le souffle poumons vides en mettant de plus les mains sur le ventre en se concentrant sur la zone qu’on appelle le hara chez les Japonais, c’est-à-dire à trois ou quatre travers de doigt en dessous du nombril, cela entraîne les sensations vers cette zone et évite qu’elles ne nous prennent à la gorge sous forme d’anxiétés, comme si quelqu’un nous sautait dessus pour nous étrangler. Il est important aussi de comprendre qu’il est normal que la durée des arrêts poumons vides après la fin de l’expiration soit variable : en effet, le corps est constamment en train de rééquilibrer les gaz du sang, un long arrêt poumons vide fera augmenter le gaz carbonique et diminuera l’oxygène, on compensera donc probablement lors du cycle respiratoire suivant en ayant un arrêt beaucoup plus court. Cependant, même si l’arrêt n’est que d’une ou deux secondes, c’est un ancrage de la conscience, cela enracine dans la stabilité émotionnelle. Il est très utile de reprendre ses arrêts poumons vides au moment même de la situation stressante, mais ils seront bien sûrs plus efficaces si on s’est entraîné de façon régulière auparavant.
Un autre entraînement régulier pour diminuer le stress, c’est l’observation du souffle naturel, tout en ayant une bonne posture attentive, c’est-à-dire avec le dos droit, le menton rentré et la nuque étirée vers le haut. Si on se sent agité, on peut cependant incliner légèrement la nuque vers l’avant, mais le dos doit rester droit. L’image qui me vient souvent à propos de l’observation du souffle naturel est tout à fait prosaïque : c’est celle de retirer le sifflet d’une cocotte-minute. À ce moment-là, on peut être sûr que la pression diminuera progressivement à l’intérieur du récipient. De même, si on revient au souffle naturel, la pression du stress diminuera automatiquement sans qu’on ait d’autres choses à faire. Après, l’effet calmant du souffle naturel se répand en tache d’huile, et influe les sensations dans tout le corps, puis les émotions, plus les contenus mentaux, et même finalement à ce grand lâcher-prise de l’ego que recherchent à leur manière les différentes additions spirituelles.
Une autre manière d’agir contre le stress dans une pratique quotidienne et d’absorber l’attention dans ce qu’on appelle le cœur subtil à droite, on peut par exemple visualiser celui-ci et ressentir comme une boule de lumière intense, voire comme un petit soleil. Il y a une logique simple dans cette pratique de visualisation : le cœur physique à gauche se met à battre plus vite dès qu’il y a du stress, il est donc complètement associé à cette réaction. Cela retentit même sur l’équilibre des hémisphères, on sait que le côté gauche du corps est relié à l’hémisphère droit et vice versa. Ce n’est pas par hasard donc s’il y a dans le cortex préfrontal droit un centre du stress, et dans son homologue à gauche un centre des émotions positives. En ce sens quand on se concentre sur le cœur subtil à droite, on stimule le centre cortical gauche et les émotions positives et on s’éloigne du stress. En pratique, tout ce qui peut nous aider à sentir cette zone symétriques de la pointe du cœur à gauche, c’est-à-dire au niveau de la base du thorax droit en oblique sur le côté nous aidera à combattre le stress. On peut par exemple tapoter cette zone, ou y mettre la paume de la main our la réchauffer. Dans le soufisme, ce point fait partie de la série des latifas, des centres subtils, et on l’appelle ar ruh, ce qui signifie en arabe l’esprit. Certains enseignements de de l’Inde comme Râmana Mahârshi conseillent de méditer sur le Soi cet endroit. Au début, la concentration directe est difficile et demande de l’entraînement, ainsi il ne faut pas hésiter à être quelque peu physique et à tapoter cette zone avec deux ou trois doigts de la main droite.
À propos de tapotement, il y a des méthodes et antistress rapide et efficaces que nous pouvons décrire maintenant. Elle est fondée sur les notions de méditation et de médecine énergétique chinoises et japonaises, et consiste tout simplement à stimuler des zones antistress du corps par le tapotement de l’index et du majeur par exemple. Quelles sont ces zones ?
Il y a déjà la moitié supérieure du front, dans le tapotement permet de dégager les tensions liées au stress entre les sourcils. Ensuite, il y a les côtés externes des orbites, qui permet de dégager l’angle interne des yeux ou viennent les larmes, elle-même liée au stress d’une façon ou d’une autre. Ensuite on a les : au-dessus de la supérieure et en dessous de la lèvre inférieure, qui sont entre eux la zone de stress supérieur entre les sourcils et inférieurs au niveau des mâchoires, et permet donc aussi de dégager ces deux zones. Au niveau de la poitrine, on peut distinguer quatre zones tendues par l’anxiété, la base de la gorge, le plexus solaire, et la pointe des seins qui par leur hypersensibilité peut être sujet de stress. Ils forment un losange, et l’on contrebalance leur influence en tapotant un carré : les : mi-chemin entre les tétons et le milieu de la clavicule, et les : symétrie par rapport au sein, à mi-chemin entre les deux tétons et le milieu du 10e côte. On tapote aussi : en croissant les bras au niveau du plexus pour atteindre la base du pilier postérieur des muscles qui forment les scènes. On peut rajouter : qui ont un effet antistress certain, à l’extérieur de la cuisse, à deux ou 3 cm en dessous de la hanche, et à l’autre bout du quadriceps Inde 3 cm au-dessus du genou. Tout en tapotant ces points, on récite une formule positive qui mentionne son problème, par exemple j’ai peur de conduire, mais on le complète par une formule du genre : « mais je suis une bonne personne et je vais moi-même ». Après une série, on s’en comment évolue la peur, et on note l’amélioration en modifiant la formule par exemple en disant : « maintenant je n’ai plus peur que de conduire sur les grandes routes et en ville, mais je suis une bonne personne et je vais moi-même ». On agit ainsi sur le côté du ressenti et celui de la parole, c’est une combinaison gagnante.
Une manière simple de combattre l’anxiété est aussi de stimuler le cœur subtil à droite, qu’on se représente comme une masse de lumière en symétrique du cœur à gauche. Pour aider la visualisation, on peut aussi tapoter cette zone donc en bas à droite du thorax. L’idée simple : le stress des rapidement battre le cœur, donc l’anxiété est mêlée de façon intime à cette zone autour du cœur à gauche. Pour décharger cette zone de son excès d’énergie, et suffit d’attirer les sensations dans son symétrique par rapport à l’axe central, c’est-à-dire le cœur subtil à droite.
De façon régulière, il est bon de prendre le temps d’observer son souffle naturel : cela baisse, comme nous l’avons dit, la pression du stress aussi sûrement que la pression de la vapeur baisse dans une cocotte minute quand on retire le sifflet. Si on pratique cette observation régulièrement pendant l’année, y revenir pendant l’examen sera très efficace.
Comment développer l’attention et la mémoire
1) Réviser ses notes de cours le jour même :
Il s’agit déjà d’un conseil simple que tous les étudiants connaissent mais ne suivent pas forcément. La mémoire est fraîche, et on peut l’organiser en fonction de ce dont on se souvient directement. En effet, pendant la nuit, l’activité cérébrale reclasse les souvenirs comme un ordinateur défragmente son disque dur. Le problème est qu’il se créent alors beaucoup de fausses associations, qui seront difficiles à corriger quand on révisera les cours. Autant éviter cela et donc mettre la mémoire en ordre le soir même.
2) Faciliter la mémoire visuelle
Il y a moyen simple pour cela : qu’on apprenne son sujet sur ses notes de cours ou sur un polycopiée ou encore un livre, on a régulièrement de pages en face de soi : on peut donc quand on se récite son cours par écrit en résumant par quelques mots chaque paragraphe respecter la disposition de départ : pour cela, on dessine un rectangle sur sa feuille blanche en le coupant en deux, et on reconstitue ainsi la forme de la page de gauche et de la page droite. Ensuite, si les 2-3 mots de résumé correspondent à un paragraphe d’explication en haut à gauche des deux feuilles de cours, on les dispose en haut à gauche du rectangle, et pareil pour les autres emplacements. Ainsi, quand on se récitera la question de cours au moment de l’examen, si on récite un point qui est en haut à droite de la feuille et un autre qui est en bas à droite, on saura qu’il en reste un qui manque au milieu et à droite. S’apercevant de cela, on le recherchera et on le retrouvera probablement. C’est une idée simple mais très efficace, qui ne prend pas de temps supplémentaire. Grâce à cela, on peut réaliser le rêve de tout étudiant : avoir dans la tête une machine à photocopier les cours. Avec ce système, j’ai pu finir troisième sur 180 dans un des derniers certificats des études médicales, la thérapeutique. On pouvait nous interroger sur tous les traitements de la médecine, cela fait donc énormément de noms et de dosages à mémoriser. Il y avait dans l’amphithéâtre des étudiants bien plus compétents que moi, mais cette faculté d’avoir développé la « machine à photocopier » m’a bien aidé.
3) Établir un arbre de mémoire.
Notre corps est constitué d’une droite et d’une gauche et la mémoire aime bien se répartir de façon binaire. Les textes des traditions orales mémorisés par cœur abondent en formules parallèles, symétriques. C’est ce que certains anthropologues appellent le bilatéralisme. Quand il y a une série de points, c’est utile de les regrouper deux par deux en exploitant toutes les similarités ou analogies qu’ils peuvent avoir, même si cela est parfois un peu artificiel. On mit alors deux traits qui viennent d’un même endroit devant les deux idées pour montrer qu’elles sont réunies. Quand il y a un nombre impair, on regroupe deux points dans une même paire, et on la met ensemble avec le point qui reste. De plus, on notera aussi que souvent, on compare deux points dont l’un a une qualité plus marquée que l’autre. Par exemple si on parle dans une liste de la révolution française avec la Terreur et le Directoire, il y aura la première période où l’oppression était plus forte, la seconde moins. On marquera alors le point où la qualité qu’on compare est plus intense par un trait plus épais, et l’autre par un trait en pointillé. Le simple fait d’avoir cherché une qualité commune pour comparer les deux points aidera à ce qu’ils restent associés dans notre mémoire.
4) Les mots ouverts
La base de la mémoire est l’association, et le modèle de celle-ci est l’association entre deux mots. Cela est très clair pour l’apprentissage des langues. On retrouve aussi cela dans toutes sortes de mémoire. L’idée pour pouvoir associer deux mots intimement est de les ouvrir et de les recomposer en mot hybride qui n’existent pas, mais qui sont là simplement comme des intermédiaires, des maillons de la mémoire. Si on apprend par exemple anglais et que l’adjectif chétif se traduit par puny, on pourra faire deux mots hybrides composés de la première syllabe du mot dans une langue et la seconde syllabe du mot dans l’autre. Dans notre cas, cela donnera °ché-ny et °pu-tif. Un système très facile à utiliser consiste aussi tout simplement à intervertir les premières consonnes ou groupes de consonnes de chacun des deux mots : dans notre cas, cela donnera °ch-uny et p-étif. On répète une dizaine de fois de plus en plus vite les mots hybrides, en faisant bien attention que la langue fourche pas, comme dans le jeu où l’on doit répéter de plus en plus vite « panier-piano ». Dès qu’on est distrait par autre chose, l’articulation s’emmêle. Cette pratique permet donc de maintenir une attention vive sur l’association entre les deux mots pendant 15 ou 20 secondes, et cela suffit à les mémoriser. Une image fera saisir la valeur de cette méthode mieux que de longs discours : si l’on veut coller deux boules de billard, cela ne tiendra jamais car il n’y a qu’un point de contact. Par contre, si on les coupe en deux et qu’on recolle une de demi-boule avec une moitié de l’autre, la surface de contact sera grande et le collage tiendra. Il en va de même avec les mots, quand on les apprend de façon ordinaire en répétant chétif-puny, il n’y a qu’un point de contact et le collage n’est pas de bonne qualité. Si on fabrique des mots hybrides, celui-ci tiendra bien mieux. Cette méthode – je me suis aperçu de cela plusieurs années après l’avoir découvert par moi-même – est liée à une technique d’apprentissage des védas. Il s’agit de quatre livres que certains brahmanes parviennent à apprendret par cœur en entier. Quand il mémorisent une ligne, à la place de réciter les syllabes dans l’ordre 123456, ils font des allers-retours en intervertissant les syllabes dans différents ordres, par exemple 1,3, 2,4, 3,5 ou alors 5, 3,4, 2,1, etc. ainsi, toutes les syllabes de la ligne se chevauchent les unes les autres, rentrent en lien, et cela crée une mémorisation très solide. Selon la configuration des mots se traduisant les uns les autres d’une langue à l’autre, on peut utiliser différentes sous technique. Il faudra s’y prendre un peu différemment pour associer deux mots très longs, un mot très court et un mot long, etc. On verra tous les détails traités de façon systématique et logique dans l’article Les mots ouverts sur mon site www.jacquesvigne.com On y trouvera également une version anglaise Open Words.
En dehors du domaine des langues, cette méthode des associations de mots avec création de mots hybrides est utile dans la mémoire des cours en général : une question se résume souvent à cinq ou dix points qu’on doit pouvoir réciter. Souvent, on se souvient bien de deux points, on en oublie toujours deux autres, et on se souvient plus ou moins des points intermédiaires. La méthode est alors de résumé un point dont on se souvient tout le temps en un mot, et le point qu’on oublie tout le temps en un mot, et de croiser les mots selon les techniques ci-dessus. C’est comme si on développait la mémoire en attachant les objets à un pilier fixe qui est le point dont on se souvient tout le temps.
Pour la poésie, on a souvent des trous de mémoire au moment de redémarrer un vers ou une strophe. Si on croise un mot de la fin de la strophe précédente avec un du début de la strophe suivante, surtout s’ils ont une lettre commune ou similaire, on évitera ce phénomène de trou de mémoire. Par ailleurs, quand on récite les mots hybrides de plus en plus vite, ils finissent par devenir un son continu. Si on associe ce son continu au grésillement du silence qu’on perçoit quand il n’y a aucun bruit alentour, leur association sera retenue en profondeur. Ce son du silence est comme la dalle de béton à la base d’un bâtiment. Elle est solide car elle est toujours là. Si on construit dessus, on aura un bâtiment qui résistera aux épreuves du temps… et de l’oubli. On trouvera plus d’informations sur l’écoute de ce son dans mon livre La mystique du silence.
Ces associations de mots sont comme la fusion de deux pôles. On bénéficiera grandement d’un geste des doigts qui concrétisera de façon claire cette fusion. En effet, la projection des mains gauches et droites sur le cortex cérébral est beaucoup plus importante que celle des autres parties du corps. Si on les utilise, on stimulera donc d’autant plus sa conscience. Une manière simple de le faire, qui n’est pas exclusive d’autres, et de rapprocher en récitant les mots hybrides le pouce et l’index de chaque main de l’autre, et puis finalement de rassembler les quatre doigts au même point.
Comment développer la motivation, l’équanimité et l’altruisme.
Souvent, les étudiants croient qu’il est bon de se stimuler lors de la préparation d’un examen en se disant répétitivement : « Mon Dieu, je ne sais pas ça, mon Dieu je n’ai pas appris ça ! » Cela peut être en fait contreproductif. Ces suggestions négatives rejoueront au moment de l’examen quand l’étudiant doit réciter sa question, il y aura une petite voix qui lui susurra de nouveau : « Mon Dieu, je ne sais pas ça !… » et la mémoire sera paralysée. Il est donc beaucoup plus utile de renforcer la motivation positive et à chaque fois qu’on apprend ne serait-ce qu’un paragraphe, de se dire : « Malgré tout, je sais quand même cela ! » C’est cette suggestions positive qui rejouera alors au moment de l’examen. Sinon, de façon plus générale, les étudiants admettent comme évidente la motivation égoïste pour réussir un épreuve ou un concours : « Si je n’ai pas de diplôme, je ne gagnerai pas ma vie et je mourrai de faim ! » Certes, c’est mieux que pas de motivation du tout, mais ce n’est qu’un aspect des choses, chaque métier quand on n’y pense représente une forme de service à la société. Si on le fait dans un esprit correct, les autres personnes seront contentes et nous aussi. Même le commerce fait de façon honnête revient à rendre service aux gens : on leur fournit ce dont ils ont besoin au bon moment à un prix modéré, nous y gagnons de notre côté quand même quelque chose et eux sont contents de recevoir ce qui leur manquait. Dans cet esprit-là, préparer ses examens est une manière de se préparer au service des autres. Cela change profondément la motivation spirituelle du travail de l’étudiant, elle acquiert une qualité bien supérieure. De plus, s’il rate l’examen, il trouvera d’autres manières de rendre service aux autres et sera moins désarçonné…
L’équanimité doit être développée dès le début des études vis-à-vis des résultats. L’important est de bien faire ce qu’on a à faire. Cela donne une satisfaction immédiate, le reste ne nous appartient pas forcément. Par exemple, dans les concours, s’il y a très peu de places et beaucoup de candidats, ça ne sera pas une honte d’échouer. Cela va dans le sens des proverbes « Aide-toi, le ciel t’aidera ! » ou encore « Fais ce que peux, advienne que pourra ! » Dans la culture zen du Japon, il y avait trois juges pour évaluer la qualité d’un tireur à l’art. Le moins important regardait juste si la flèche touchait le mil. Le second, qui a plus de poids, observait si l’archer bandait son instrument dans toutes les règles de l’art. Le troisième, qui a une importance décisive, est fixé sur le visage du joueur. S’ils marquait la moindre trace d’orgueil quand la flèche touchait dans le mille ou la moindre trace de colère si elle ratait la cible, il était éliminé.
Quand on réfléchit, on peut dégager deux qualités essentielles pour être heureux et rendre les autres heureux : l’attention et l’altruisme. C’est ce qu’avaient déjà remarqués les sages de la Chine ancienne, Confucius et Mentius. C’est aussi ces deux qualités que donne le Dalaï-lama comme base d’une éthique universelle, autant pour ceux qui ont une religion que pour les agnostiques qui se préoccupent malgré tout d’avoir une vie réellement éthique. Si on n’a pas d’attention, on s’attire des tas de problèmes pour soi-même et on ne peut pas développer les autres qualités car on ne peut pas se corriger soi-même dans les circonstances concrètes de la vie quotidienne. Si on n’a pas d’altruisme, notre attention sera tôt ou tard pervertie dans des directions négatives, comme chercher par exemple à nuire aux autres par tous les moyens. Il faut donc développer ces deux qualités en parallèle, et l’état d’étudiant est un bon d’entraînement pour cela : les études elles-mêmes demandent un grand développement de l’attention, et la collaboration avec les autres étudiants ainsi que la motivation de service dans le métier qu’on prépare développe la qualité d’altruisme.